Stella et Leo

        Bonjour. Moi, c'est Léonard. J'ai 56 ans et aujourd'hui je me remets d'une déception amoureuse. Du moins j'essaie. Et pas sûr qu'on puisse vraiment parler d'une histoire d'amour... Pourquoi j'en parle, alors ? Parce que c'est important pour moi. Et que j'ai sans doute besoin d'exorciser, pour que ça sorte, nettoyer la plaie et enfin réussir à tourner la page. Je sais au fond de moi que le chapitre est fini, pourtant j'ai du mal à m'en détacher.
        Par où commencer ? Pas trop loin, je n'aime pas trop parler de moi et, de toute façon, je doute que ça vous intéresse. Un de mes grands classiques, ça : ne pas croire que mon histoire puisse intéresser quelqu'un... Bref, pour reprendre les sketch des Inconnus (1991),
        - J'ai 35 ans. Je suis informaticien.
        - Et physiquement ?
        - J'ai 35 ans. Je suis informaticien.
        Sauf qu'il faut ajouter 20 ans. Vingt ans sans sport suite à une entorse du genou. Ca vous donne une idée du tableau... Sauf aussi que j'ai décidé de changer de vie. J'ai passé presque quarante ans à préférer la compagnie des ordinateurs à celle des gens parce que ça me semblait plus facile. Et que je me suis (enfin ?) rendu compte que continuer ainsi serait un gâchis total... Si si, ça peut arriver ce genre de réveil tardif. La preuve : moi !
        Outre les ordis, je lis beaucoup. Et j'essaie de me développer personnellement. C'est très à la mode de nos jours... Et moi ça m'intéresse depuis tout petit. Sans trop de résultat me direz-vous. Vous n'auriez pas forcément tort. Suivre le chemin le plus facile permet rarement de s'élever, on est d'accord là-dessus. Mais, sait-on jamais, sur un malentendu, une prise de conscience peut surgir.
        Et les malentendus sont arrivés en escadrille.
        - D'abord ma compagne a conclu au bout de vingt ans que ça ne pouvait plus durer ainsi et que je devais libérer la place (entièrement financée par mes soins mais je suis mesquin de le mentionner)
        - Mes patrons ne peuvent plus faire confiance en ma loyauté indéfectible envers leur société familiale. J'avoue que je les comprends. Habitant dans le Vaucluse je souhaitais fuir Marseille au moins quelques jours par semaine en télétravail. Ca ne s'est pas fait. Alors j'ai postulé pour un job à huit kilomètres de chez moi. Même s'ils ne m'ont pas pris, la sérénité en a été définitivement brisée.
        - Par ailleurs j'avais depuis longtemps fait le tour des possibilités intellectuelles et évolutives de ce boulot alimentaire. Il m'offrait la sécurité et un confort certain en échange d'un enterrement quasi-définitif de ma créativité. Comme souvent dans mes existences successives, j'aspirais à autre chose.
        - La rencontre avec un masseuse qui en gagnait plus ou moins suffisamment sa subsistance a précipité ma bascule radicale. Non, ce n'est pas elle la source de ma déception. Elle aurait pu mais ce n'est pas elle...
        Tout ça plus le célibat surprise (bien que prévisible) s'est cumulé afin de constituer le méga-coup-de-pied-au-c... qui me ferait décoller (doux euphémisme). Tant qu'à faire, autant changer complètement de vie. Comme depuis tout jeune, en plus du développement personnel (suivez un peu; s'il vous plaît), je pratiquais en autodidacte empirique pour ma famille et mes amis les massages relaxants j'ai décidé que ça pouvait être un beau métier.
        J'ai donc suivi à Gréoux-les-bains une formation aussi intensive que qualifiante. Non, ce n'est pas là que j'ai rencontré ma Dulcinée. Sur douze futurs praticiens bien-être j'étais le seul homme. Mais non, circulez ya rien à voir. Allez, hop... Pas non plus au cours de QiGong où règne le même ratio. Mais ça se rapproche : une des participantes m'a indiqué un salon BE (il y en a de plus en plus, en effet) à Orange où un des stands photographiait les auras. Mû par la curiosité, j'ai été voir. Et là, j'ai rencontré Stella (enfin, pas trop tôt; je vous entends soupirer d'ici). Oui, pas trop tôt, je suis d'accord avec vous. Ca fait plus d'un an que la mère de mes enfants m'a plaqué, que je digère ça et que je me reconstruis morceau par morceau. J'ai à peine retrouvé ce qu'il me fait plaisir de manger, j'ai repris le sport à fond (oui, le genou tient le coup, merci de votre sollicitude) et ma joie de vivre refleurit petit à petit. Fin de la parenthèse.
        Non, Stella ne fait pas les photos Kirlian. Elle propose plutôt des massages et soins énergétiques. Elle est l'une des rares exposants avec lesquels j'engage la discussion (vous aurez deviné que ce n'est pas mon fort) et la seule à qui j'évoque ma reconversion. Est-ce que ça vient de ses qualités commerciales ? Est-ce lié la connexion entre nous que je ressens fortement dans mon ventre (non non, pas plus bas, je vous assure). C'est une sensation qui ne m'arrive jamais d'habitude. Toujours est-il que je prends rendez-vous pour un soin Access Bars. J'éprouve une totale confiance à son égard (en plus ou à cause de la connexion ? Va savoir...) Ca se passe super bien. Le soin se poursuit par une conversation à bâtons rompus où nous ne voyons pas le temps passer. Un nouveau rendez-vous est pris pour une séance de Reiki. Rebelote, super bien, belle conversation, bla bla bla... Je me dis qu'il faut que je l'invite, c'est une belle personne qui déborde autant de qualités humaines que de charme, ce qui ne gâche rien, au contraire. Je réussis à lui envoyer un SMS auquel elle répond positivement en précisant que ça ne restera qu'amical. J'ai beau me relire plein de fois, je ne vois pas où sont mes gros sabots (je ne suis certainement pas objectif, je sais).
        Refroidi par tant d'injustice, je laisse traîner. Puis je suis une formation qu'elle donne avec une autre élève. Là, la glace est rompue sans que toutefois la relation se précise malgré le passage au tutoiement. Les jours passent jusqu'à ce que je lui rappelle que l'invitation tient toujours. Ce qui se traduit par un concert des Namaspamous dans un bar à bière. C'est à peine si je bois de la bière : je n'aime pas ça. Trop amer, alcoolisé, rien pour me plaire... Mais moins pire que le vin. Aucune chance pour un breuvage plus fort en public, trop risqué... Malgré le froid et l'exiguïté ce fut une chouette soirée. Pour elle aussi, on dirait. On s'est revu, d'autres bars à bière. D'autres rigolades et conversations débridées. Je me sens bien, pas de masques à porter. Pareil de son côté... Puis elle m'invite à une sortie Années 80 en boîte de nuit. Vous vous doutez que les boîtes c'est pas ma tasse de thé. Même sis une précédente conquête m'avait contraint à prendre des cours de danse de salon, j'ai autant le rythme dans la peau qu'un hippopotame tétraplégique. Cependant poussé par un désir de me transcender (au moins), j'y vais. J'y passe, à ma grande surprise, une sacrée soirée. Ses copines aussi. Elle de même. Tout va bien !
        D'autres sorties à la bière, d'autres danses 80. Toujours en sourires, en dialogues plaisants. De plus en plus de joie chez moi. Rien qu'à évoquer son visage. Si si, je vous jure. Tandis que reviennent les beaux jours, je ressors la moto. Au détour d'une phrase, je découvre qu'elle a son équipement et qu'elle aime rouler. Donc les sorties moto s'ajoutent aux rencontres nocturnes. Royal.
        J'ai envie de la présenter à tout le monde. Je suis de plus en plus joyeux. Pas de doute, je suis amoureux ! Elle est sensible (voire hypersensible), limite fragile derrière ses apparences de femme forte. Pas grave, c'est pratiquement la plus belle relation que j'aie connue, la plus authentique, la plus riche, la plus sincère. Les bisous ? Le sexe ? Ce n'est pas une fin en soi, non ? Si ? Pas besoin de parler sincèrement pour baiser. Le plus souvent c'en est même une contre-indication... Et je préfère une personne qui a envie de me fréquenter à une partie de jambes en l'air. Pas vous ? Chacun son truc. Ca doit venir d'une blessure narcissique : manque d'estime de moi, tout ça...
        Années 80 encore qui se finissent sur une partie de "Cours après moi que je t'attrape" au son des Lacs du Connemara. Grands sourires (quatre fossettes d'un côté, trois de l'autre, elle est craquante) accompagnés de clins d'oeil. Pas de bisou mais je n'attends plus après. Ca viendra si ça doit venir. Pourtant quelques reprises de volée au fil de nos échanges mettent à mal ma blessure de rejet. Je lui en fais part et lui demande de ne pas en rajouter. OK, ça va le faire ! On échange des massages (en tout bien, tout honneur). On continue la bière, la moto et les conversations passionnantes.
        Vient une nouvelle remarque, pour elle qui vit dans le moment présent, qui ne veut rien promettre et ne veut surtout pas blesser par de faux espoirs, il s'agit d'un recadrage nécessaire. Pour moi qui croyais avoir clarifié le sujet, c'est une grosse claque sur mon beignet. Je lui prépare un petit courrier dans lequel j'exprime ce que je ressens et ce qu'il en est pour elle. Je lui remets lors de notre rencontre suivante. Et là, c'est le drame ! Que je ne parle que de moi lui semble insupportable. Je lui prends la tête avec mes questions et mes peurs. Mes mots lui paraissent une tentative de manipulation. Elle le prend comme une trahison, sa confiance s'évanouit.
        Depuis on ne se voit plus. C'était platonique. Merveilleux. Nous avons vécu ce que nous devions vivre. Maintenant il me faut oublier mes espoirs ténus si lourds de promesse dans mes songes... Désormais je dois faire le deuil de toute la joie que je trouvais à travers elle, à penser à elle. Le deuil de tous nos projets que nous ne réaliserons jamais. Le deuil d'une relation fabuleuse avec une magnifique personne.
        Stella, je te remercie du fond du coeur pour tout. Pour ces moments extraordinaires que nous avons partagés. Prends soin de toi. Sois heureuse. tu le mérites.
        J'apprends à ne plus accorder autant d'importance à qui que ce soit. J'apprends à me donner l'amour que je recherche auprès des autres. Je sais que c'est le seul moyen d'ouvrir la porte à une relation équilibrée, d'atteindre l'amour inconditionnel. Un savoir théorique que j'ai, de tout temps, du mal à transposer dans la pratique. Je m'y applique. J'y arriverai. Un jour. Bientôt.

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