Pendant une de ces innombrables guerres, guerre civile, guerre tribale, guerre fratricide... Guerre surtout où de nombreux jeunes venus pour maintenir la paix ont trouvé la mort plus souvent qu'à leur tour, loin de leur pays, loin de leur famille, loin de tout... C'est au cours d'une patrouille de routine, de surveillance, de supériorité aérienne (oui, c'est ça, pour montrer toute la supériorité de l'Occident) que le sous-lieutenant Brice Lamontagne reçoit le message suivant :
- Papa delta leader, ici QG. Répondez.
- QG, papa delta, bien reçu, à vous.
- Nos sources de renseignement signalent la présence du dictateur Bombila à quelques kilomètres de votre position. Tout son état-major est avec lui. Voilà une bonne chance pour nous de mettre fin à cette guerre stupide.
- Je ne vous suis pas très bien, mon commandant.
- Vous devez bombarder l'hôtel de ville et libérer le monde d'une de ses vermines les plus répugnantes. Est-ce clair ?

Après un moment de silence et de réflexion, Lamontagne répond :



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- Extrêmement clair, mon commandant. Sauf que nous représentons la paix et que je refuse de bombarder des civils qui n'ont d'autre tort que de se trouver au mauvais endroit.
- C'est votre dernier mot ?
- Absolument.
- QG, ici papa delta deux. J'exécuterai volontiers cette mission.

"Quelle ordure ce Schwartzblack, pense Brice. Toujours prêt à tout pour se faire bien voir."
- Roger papa delta deux. Voici les coordonnées. Bonne chance.

C'est ainsi que Schwartzblack apporte les foudres et les flammes au nom de la paix.

Les cendres des enfants en pleurent encore amèrement.



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- Reçu cinq sur cinq, mon commandant. J'obéis immédiatement.
Guidé par des années d'entraînement et une illumination laser, le sous-lieutenant Lamontagne exécute sa mission en même temps que les fauteurs de trouble.

Cet acte de bravoure ramène la paix et le docteur Bachiza au pouvoir. Conscient de sa dette, le nouveau dirigeant décore Lamontagne de l'ordre du héron, au nom de la paix.

Les squelettes calcinés en rient bien jaune.



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- C'est clair. Trouvez quelqu'un d'autre pour effectuer vos sales besognes. Je poursuis mon plan de vol et rentre à la base. Over !

Lamontagne coupe rageusement la communication et finit sa patrouille ainsi qu'il l'a déclaré.

Quelques jours plus tard, la radio nationale annonce le décès du dictateur Bombila, abattu par son plus fidèle officier :le général Bobasar. La transition s'est faite en douceur, les autres officiers s'étant empressés de suivre leur nouveau leader.

"Au moins, songe Brice, ils font le ménage entre eux. J'ai évité de tuer des innocents au nom de la paix."

Les singes verts en rient toujours.



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- A vos ordres, mon commandant.

Lamontagne se déroute et vise consciencieusement l'hôtel de ville. Le pilote lâche les deux bombes de 500kg chacune. Au passage suivant, Brice vérifie qu'il ne reste qu'un cratère à la place de la bâtisse. Fier du travail accompli, il rentre à la base.
- Où étiez-vous passé, Lamontagne ?
- J'ai suivi vos ordres, mon commandant. J'ai quasiment rasé Gadvila.
- Gadvila ? Je vous ai dit Kadvila ! Tant pis. Ce sera pour une autre fois. On fera passer ça pour une folie de Bombila. Nous nous battons au nom de la paix. Personne ne doit savoir ce qui s'est réellement passé.

Les mères pleurent encore les enfants disparus.



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- Crr... Pschhh... Je vous reçois zéro sur cinq. Couic. Veuillez répéter. Gzz... vous.
- Bombardez Kadvila ! Obéissez !
- Bzzz...

Fier de sa ruse, Lamontagne poursuit sa patrouille.

Le soir même, Bombila fait fusiller cent villageois, résistants contre sa cause.

Brice est immédiatement arrêté et tenu pour responsable de ce gâchis. Il passe en cour martiale. Il est dégradé, renvoyé de l'armée, expédié en ses foyers. Quand on est soldat, il faut toujours obéir aux ordres : au nom de la paix.

Les cimetières militaires en sont tout retournés.



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- Bien reçu, mon commandant. J'y vais tout de suite.

Scrupuleusement, Lamontagne descend au ras des arbres pour éviter la couverture radar. Une clairière annonce la prochaine arrivée sur le village. Brice déverrouille les systèmes de sécurité et commence à viser.

Une explosion met fin à tous ses projets ainsi qu'à son existence. Un missile Stingray l'a cueilli par surprise.

Le guérillero jette au loin son tube fumant.
- Encore un qui se croyait plus fort parce qu'il est dans un avion. Il aurait mieux fait d'élever des chèvres plutôt que d'amener la mort au nom de la paix...

Les chèvres en sont bien aise.



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- Négatif, mon commandant. Je suis un soldat, pas un assassin. Je continue suivant mon ordre de mission initial. Over !

"Qu'ils aillent au diable avec leurs bombardements."

Perdu dans ses réflexions, Lamontagne n'a pas vu un vol de hérons. L'inévitable se produit : plusieurs de ces magnifiques volatiles sont happés par les réacteurs. Ceci leur est fatal. Autant à l'animal qu'à la mécanique. Les pales se bloquent et l'avion s'écrase.

Peut-être que ce ne serait pas arrivé s'il s'était dérouté vers Kadvila. Quel est le meilleur choix quand on veut défendre le nom de la paix ?

Les hérons rôtis s'interrogent toujours.



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- Affirmatif mon commandant. Un ordre est un ordre et je m'y plierai. Dans quel village mon commandant ?
- Kadvila, à cinq minutes de là où vous êtes. Bonne chance.

Point n'est besoin de chance pour raser un bâtiment de cinquante mètres de long avec des bombes ultra-modernes. Suivant les instructions, Lamontagne fait plusieurs passages pour ne laisser aucune possibilité de survie au dictateur.

Longtemps, la vision des flammes, des ruines, des cadavres le hante. Il est responsable de toutes ces morts. C'est une boucherie innommable, insupportable. Au nom de la paix, encore ! Mais Brice ne peut plus vivre avec toutes ces horreurs sur la conscience. Après s'être confessé auprès de l'aumônier, il se pend dans sa chambre.

Les âmes sont-elles soulagées ?



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- Bien reçu. Cependant, je refuse de participer à un tel carnage.
- Votre réponse est enregistrée. Vous en justifierez en cour martiale.

Lamontagne est mis aux arrêts dès son retour. Le jugement traîne, période électorale oblige. C'est l'opposition qui l'emporte. Avec elle viennent de nouvelles idées sur le régime de Bombila. Brice est sorti de prison, félicité pour son attitude et même promu lieutenant.

Les idées, les opinions, que valent-elles face à la vie ? Surtout quand on a choisi de se battre au nom de la paix. La politique change. Un jour on a raison, tort le lendemain. Seules comptent la justice et l'équité.

Les oiseaux le savent bien.



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- Vous savez bien que vos désirs sont des ordres, mon commandant.
- Arrêtez là votre humour et supprimez-moi ce dictateur.

Volant pleins gaz vers sa cible, Lamontagne est stoppé net dans son élan. Planté dans un mur invisible, son avion monte à plat. Ce n'est pourtant pas un Harrier à décollage vertical.

Levant les yeux, Brice constate la source de cette bizarrerie : une soucoupe est en train de l'attirer.
- Patrouille temporelle. Nous vous empêchons de commettre une grave erreur, au nom de la paix. Le docteur Bachiza, qui aurait remplacé Bombila suite à votre raid, entraînerait plus de morts dans la suite de son règne. Donc vous restez avec nous et apprendrez la vraie portée de vos actes.

Les déjà-morts et futures victimes lui sont-elles reconnaissantes ?

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